À la rencontre de Fannie et d’Alain
1 5 août 2021
C’est en 1999 qu’Alain Caron devient membre du GRIS. Il s’implique encore aujourd’hui en tant qu’intervenant, formateur et membre du conseil d’administration. En plus d’avoir trouvé une vocation avec le GRIS, Alain a trouvé une grande famille de bénévoles très solidaires. Fannie Lajoie nous a rejoints en 2020 juste avant la pandémie. Sa première intervention a eu lieu en virtuel, mais elle a hâte d’aller en classe en région afin de faire une différence.
Présentez-vous comme vous le faites en intervention ?
Alain : Bonjour mon nom c’est Alain, j’ai 50 ans et je suis gai. Je suis en couple avec Stéphane depuis 10 ans et je suis au GRIS depuis plus de 20 ans. J’ai fait ma sortie du placard à l’âge de 25 ans. Dans ma vie de tous les jours, je suis enseignant à l’université en urbanisme. J’ai été marié avec une femme, mais nous n’avons pas eu d’enfant. Dans la vie, j’aime beaucoup voyager et j’ai hâte de recommencer à pouvoir le faire.
Fannie : Bonjour, moi c’est Fannie, j’ai 49 ans et je suis une femme trans. J’ai annoncé à mon entourage ce que je vivais en 2015. J’ai vécu avec une femme pendant 19 ans avec qui j’ai eu deux enfants qui ont 11 et 15 ans. J’ai eu par la suite une autre amoureuse et même si nous ne sommes plus ensemble depuis le début de l’année, elle fait encore partie intégrante de ma vie. Je travaille dans une école secondaire avec des élèves de 1re secondaire à 5e secondaire. J’ai plusieurs intérêts dans la vie, comme les jeux de société dont j’organise des congrès. J’ai aussi une passion pour le cinéma, surtout Star Wars, et les voyages.
Alain : Enchanté Fannie !
Fannie : Enchantée Alain !
Comment avez-vous entendu parler du GRIS ?
Fannie : C’était lors d’un congrès de jeu de société en 2016, lorsque j’ai commencé à afficher ce que je vivais. Cela faisait 15 ans que j’y participais et plusieurs personnes qui m’avaient connue avant, voyaient bien qu’il y avait des choses qui se passaient dans ma vie. Il y avait notamment un couple d’amies que je voyais dans les congrès et qui faisaient partie du GRIS. Elles m’ont dit « on te voit faire tes discours à l’avant, parler aux gens et on te verrait tellement aller parler aux jeunes dans les écoles, peu importe où. Si ça te tente, tu devrais y aller ». À l’époque, ça faisait quelques mois que j’avais fait mon coming out à mon entourage et je n’étais vraiment pas prête mentalement pour rejoindre l’organisme. Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai fait les demandes auprès du GRIS pour devenir bénévole et, de fil en aiguille, j’ai suivi ma première formation en février 2020 juste avant le début de la pandémie.
Alain : Pour ma part, je suis arrivé à Montréal environ deux ans après ma sortie du placard. Je suis allé au festival Image + Nation, un festival de film LGBT+. J’étais enchanté de découvrir toute cette diversité, de découvrir ce monde. À une des représentations en 1999, j’ai rencontré un de mes amis du bac en architecture, Jean-François Hallé, qui était à l’époque l’homme-orchestre du GRIS-Montréal, alors que c’était un tout petit organisme. Il y avait à peine plus de bénévoles qu’il y avait de membres au conseil d’administration et Jean-François m’a invité à venir voir ce qu’était le GRIS. J’ai embarqué tout de suite. Je ne remercierai jamais assez, Jean-François qui nous a quittés récemment, subitement, de m’avoir fait connaître le GRIS presque 22 ans de ça.
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir bénévole au GRIS ?
Alain : À l’époque, je n’étais pas encore enseignant, mais je crois que j’avais déjà cette fibre de partager des choses. La formule témoignage est une formule qu’on peut s’approprier facilement et qui peut faire de nous des vecteurs de changement sans avoir à entrer dans l’aspect théorique, que je découvrais en même temps que je me découvrais. J’étais fasciné par l’impact que pouvait avoir un simple témoignage. Je me suis rendu compte que ça m’apportait tellement d’être devant la classe. Ça me faisait aussi approfondir la réflexion sur moi-même et sur mon cheminement.
Fannie : J’ai travaillé longtemps dans les camps de vacances. Souvent, c’est moi qui animais les feux de camp et qui racontais des histoires et des légendes. Ça a toujours fait partie de moi. L’impact de ma séparation avec la personne avec qui je pensais passer le reste de mes jours a été très dure. Une façon de m’en sortir c’était de parler pour expliquer à mes ami.es et à mes proches ce que je vivais. Comme j’avais déjà fait du théâtre et de l’impro, j’y intégrais un peu d’humour. Ça servait à désamorcer des malaises qui pouvaient survenir lorsque je racontais mon histoire. Parler et communiquer aidait beaucoup et je me suis rendu compte au fil des mois que ça me faisait du bien et que ça permettait de faire comprendre aux autres ce que je vivais. C’est là que je me suis dit, pourquoi ne pas aller en parler dans les écoles ? Quand j’ai su ce que faisait le GRIS, je me suis dit que ça pourrait être super intéressant.
Parle-nous des débuts du GRIS, Alain.
Alain : Au début vers la fin des années 90, nous n’étions qu’une quinzaine de bénévoles et on ne démystifiait que l’homosexualité et pas encore les réalités trans. Il n’y avait à l’époque qu’une seule femme, Janik, qui était la seule à faire toutes les interventions couvrant la perspective féminine. On faisait beaucoup d’interventions et on allait partout. On ratissait très large parce qu’il y avait très peu de GRIS au Québec. C’était très stimulant et j’adorais ça. Au départ, on intervenait beaucoup plus dans les commissions scolaires en périphérie de Montréal que dans l’île de Montréal. On avait de la difficulté à entrer à l’intérieur de la commission des écoles catholiques de Montréal. Cela peut sembler surprenant, mais l’ouverture n’était pas vraiment à Montréal à l'époque. Aujourd’hui nous sommes accueillis partout et nous démystifions beaucoup plus largement la diversité sexuelle ainsi que l’identité de genre. C’est une des multiples nouveautés que nous avons vécues au fil du temps. C’est intéressant de voir cette évolution. La formation au GRIS est tellement bien faite parce qu’elle est toujours mise à jour. Donc on évolue nous aussi personnellement en étant en contact avec plus de réalités. C’est toujours plus enrichissant.
Qu’est-ce que cela vous apporte d’être bénévole au GRIS ?
Alain : Quand on va en classe, on reçoit tellement des jeunes, on se rend compte qu’on fait une différence. C’est valorisant, dynamisant et enrichissant. À chaque fois qu’on sort d’une intervention, on est vraiment très content·e et excité·e. Le désir de communiquer, de voir les questions que les jeunes ou les moins jeunes se posent, car on intervient avec différents publics, ça m’apporte beaucoup. Et puis le GRIS c’est une grande famille. Parmi les 200 bénévoles, il n’y a que des gens extraordinaires. J’ai rencontré tellement de personnes généreuses qui sont devenues mes ami.es et que j’adore.
Fannie : Je suis une fille de région et j’ai remarqué qu’après leur sortie du placard, les gens déménageaient vers Montréal, car c’est plus difficile de vivre sa réalité en dehors de l’île. Peut-être à cause d’un certain manque de compréhension. C’est pourquoi je veux surtout faire des interventions en région. Je veux pouvoir aider à éveiller les consciences en racontant mon histoire pour montrer aux gens qu’il existe des endroits où on peut aller chercher de l’aide et des informations. Si ça peut permettre à des personnes d’allumer des petites lumières et d’aller mieux, c’est ça le but pour moi.
Fannie, tu as intégré le GRIS durant une année bien particulière, qu’est-ce qui t’a marqué durant tes premières interventions ?
Fannie : C’est un contexte particulier en effet. Quand on m’a dit que ma première intervention serait en virtuel, c’était un peu stressant. Cependant, j’étais accompagnée par des personnes qui avaient de l’expérience. J’ai donc eu des interventions avec Sam et ça s’est super bien passé. Il y a tellement de termes que j’ai appris lors de ma formation au GRIS, mais également durant les interventions. Même si c’était en virtuel, je trouvais les jeunes super intéressé·es et allumé·es dans leurs questions qui étaient très intéressantes et respectueuses. Tu te livres devant une classe, mais il n’y a pas grand-chose à quoi on n’est pas préparé.es à répondre avec notre vécu. Et ça, c’est vraiment trippant.
Alain : On apprend aussi beaucoup de vous, les plus récent·es bénévoles. Premièrement parce que votre formation est encore toute fraîche alors que la mienne n’était pas aussi élaborée que la vôtre. Et puis on apprend des gens parce que chaque personne est différente aussi, c’est ça la beauté du témoignage.
Fannie : Oui, et ce qui est intéressant aussi ce sont les groupes d’âge. J’ai côtoyé des gens de toutes les générations dans notre formation et nos interventions. Lorsque j’interviens en classe avec des gens plus jeunes avec qui j’ai une vingtaine d’années de différence, ça aide à découvrir des termes et des anecdotes qui me sont étrangers. Ce que moi j’ai vécu dans les années 80-90, comparé aux années 2000 c’est vraiment différent. J’ai aussi rencontré une intervenante qui avait environ 65 ans et elle m’a raconté des choses que je n’avais pas vécues. Je trouve ce partage et ces échanges incroyables.
Alain : C’est vrai ! On apprend effectivement autant des plus jeunes que des plus âgés.
Peut-on comparer les interventions d’avant à celles d’aujourd’hui ?
Alain : Je me souviens qu’au début les jeunes étaient gênés de poser certaines questions. Il y a aussi certaines questions qu’on entend moins qu’avant, comme « qui fait l’homme, qui fait la femme ? ». La grande différence c’est qu’il y a beaucoup plus de classes multiethniques qu’avant et ça représente des défis différents liés à la diversité dans les inquiétudes et les préjugés que les jeunes peuvent avoir. Donc le travail du GRIS reste tout aussi important à faire. Je trouve que notre mission est toujours aussi pertinente 20 ans plus tard. C’est pour cela que je suis encore au GRIS.
Des appréhensions à l’idée de donner des interventions en classe Fannie ?
Fannie : Dans la vie j’ai toujours aimé être devant un public. Mais avec tout ce que j’ai vécu dans les dernières années où j’ai eu des périodes d’angoisse et d’anxiété, je craignais de me figer, de ne pas être capable de faire mon témoignage. Finalement, ça s’est bien passé lors de la formation. Je ne sais pas si je vais ressentir ce stress et cette boule dans la poitrine lorsque je vais arriver en classe, mais j’ai quand même hâte d’y être.
Alain : Je pense que si ça s’est bien passé en virtuel, ça va très bien se passer en présentiel parce que l’énergie passe beaucoup mieux quand on est devant la classe. C’est sûr que tu vas avoir le petit stress dans le corridor, mais tout le monde l’a avant de rentrer. Je suis certain que ça va bien aller !
Les bénévoles du GRIS ont une anecdote marquante d’intervention. Quelle est la vôtre ?
Alain : J’ai fait tellement d’interventions et il s’est passé tellement de choses, mais ce qui m’a marqué c’est lorsque les gens nous prennent à part après une intervention pour se confier à nous. On se rend compte qu’on a visé juste parce qu’il y avait vraiment un besoin dans la classe. On a touché une corde sensible qui a éveillé des gens à leur propre identité ou leurs préjugés, parfois.
Fannie : Je n’ai pour l’instant pas d’anecdote, mais je suis persuadée qu’il y en aura en masse dans le futur.
Tu as eu l’opportunité Alain, de faire des interventions en présence et en virtuel. Quelle différence as-tu remarquée ?
Alain : Un des avantages du virtuel c’est le fait de voir l’autre personne qui intervient avec nous, alors que dans une classe on ne voit qu’un profil comme on est face aux élèves. Il y a donc un accès supplémentaire aux expressions faciales et aux émotions de notre co-intervenant·e. Lors des interventions virtuelles où chaque étudiant·e est devant son écran, on a aussi un accès plus privilégié à leurs expressions. C’est aussi intéressant, lorsqu’on a un travail de 9 h à 5 h, de pouvoir prendre un moment durant sa journée pour faire une intervention. C’est sûr qu’on a hâte de revenir en présence aux classes, mais peut-être que maintenant on pourra implémenter une formule hybride.
Si vous aviez reçu la visite du GRIS plus jeune, qu’est-ce que vous auriez aimé savoir ?
Fannie : C’est sûr que si des personnes étaient venus au secondaire me parler de ce qu’elles ont vécus, ca m’aurait probablement permis d’arrêter de penser que j’avais une maladie mentale incurable. J’aurais arrêté souhaiter prendre une petite pilule pour guérir. Néanmoins, je ne regrette pas tout ce que j’ai vécu, car ça m’a notamment permis d’avoir deux beaux enfants avec mon ex. Mais juste savoir que d’autres personnes vivent ça, de savoir que le GRIS existe et qu’il y a des ressources, c’est sûr que ça aurait changé ma vie. J’ai entendu parler de la dysphorie de genre à 44 ans. Découvrir cela quand j’étais jeune m’aurait permise d’être qui je suis maintenant, mais plus tôt, tout simplement.
Alain : Pour ma part, au secondaire je n’étais pas encore conscient que j’étais gai, parce que les modèles n’existaient pas. C’est certain que si le GRIS était venu, j’aurais probablement compris des choses bien plus rapidement. Je vivais et je voyais tellement d’homophobie, c’était épouvantable et c’est probablement pour ça que je n’ai pas compris plus tôt que j’étais gai. Me faire dire qu’un jour ça allait bien aller, que je vais être heureux, ça m’aurait fait beaucoup de bien. Tu parlais Fanny d’une pilule pour changer, mais c’était aussi une pilule pour ne plus exister. Je m’en souviens, car même si c’était inconscient c’était présent. Je voulais être comme tout le monde. Je pense que ça m’aurait fait du bien d’entendre que c’est correct d’être gai.
L’avenir du GRIS pour vous ce serait ?
Fannie : Je regarde tout le chemin qui a été fait par le GRIS et je souhaite qu’on continue sur cette lancée. On peut se dire que l’idéal serait que le GRIS n’existe plus parce qu’on n’aura plus besoin de lui, mais j’ai l’impression que tant qu’il y a une minorité sexuelle et de genre, la mission de l’organisme est pertinente. Et puis le GRIS c’est une grande famille qui continue à s’agrandir. Je suis très heureuse de l’intégrer et j’espère rencontrer les autres membres bientôt.
Alain : Attends de voir les beaux partys de bénévoles qu’on organise chaque année ! Je pense que tu vas adorer ça. Je souhaite aussi que le GRIS continue d’être de plus en plus inclusif et que la famille s’enrichisse de gens de toutes les origines, de toutes les orientations et de toutes les identités de genre. On peut continuer d’être fier·es de ce qu’on a fait et de grandir avec les mêmes valeurs de communauté.
Fannie : En tout cas, bravo pour ton implication Alain pendant toutes ces années, c’est vraiment impressionnant !
Alain : Bravo à toi d’être arrivée en pleine pandémie et de persévérer avec nous pour que la mission du GRIS continue.
liliane poupart - 4 October 2021
wow ces formidable votre implication ces formidable je suis la maman de Fannie je suis fier d’elle bravo a vous aussi Alain